Dépression, cancer, maladies cardiovasculaires, diabète… une expertise collective conclut au pouvoir curatif et préventif de l’exercice physique dans le cadre des maladies chroniques. À condition de mettre en place des programmes adaptés ! Décryptage dans cet article du numéro 6 des Carnets de science qui vient de sortir en librairie.
Il faut prescrire et intégrer l’activité physique dans le parcours de soins de tous les patients qui présentent une pathologie chronique. Telle est la conclusion sans équivoque rendue en février par l’expertise collective1 de l’Inserm incluant plusieurs laboratoires du CNRS. Les maladies chroniques, non transmissibles, touchent actuellement une personne sur quatre et le chiffre grimpe à trois sur quatre après 65 ans. « L’intérêt de l’exercice physique est majeur d’un point de vue médical, sociétal et économique. On doit substituer une partie de la médecine curative par de la médecine préventive », affirme ainsi Cédric Moro, chercheur à l’Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires2 (I2MC) et spécialiste des maladies métaboliques.
« Désormais, l’enjeu est de sensibiliser les professionnels de santé et les patients sur la mise en place de programmes d’activité physique adaptée », ajoute François Carré, cardiologue du sport au CHU de Rennes et chercheur au sein de la structure de recherche Biosit : biologie, santé, innovation technologique3. Car marcher, courir ou jardiner active des mécanismes métaboliques, autrement dit des réactions biologiques, se déroulant dans notre corps, que les experts décryptent parfois jusque dans nos cellules.
Mais l’inactivité, le manque de motivation, la fatigue et la peur de bouger entraînent un déconditionnement physique exacerbé chez les malades chroniques, plus sédentaires que la moyenne. Sortir de ce cercle vicieux nécessite un reconditionnement à travers des exercices adaptés d’endurance d’une part et de renforcement musculaire d’autre part. L’endurance est en effet bénéfique d’un point de vue énergétique, elle est par exemple adaptée pour le patient diabétique et dans le cadre de certaines maladies cardiovasculaires. Le renforcement musculaire, lui, sert à prévenir la perte de muscle, fréquente chez les malades du cancer par exemple. En jouant sur ces deux composantes, les médecins peuvent prescrire d’efficaces programmes personnalisés.
Booster la rémission du cancer
Le cancer, première cause de mortalité devant les maladies cardiovasculaires, fait bien entendu partie des maladies analysées dans l’étude. Le nombre de cas a doublé au cours des trente dernières années. Et si une personne sur deux est guérie, plus de 50 % présentent des séquelles, notamment une fatigue invalidante cinq ans après la guérison. Or, la combinaison d’un programme progressif d’endurance avec un renforcement musculaire permet de contrer ces effets (notamment la fatigue) à condition que l’effort soit modéré pendant les traitements. « Plus tôt le patient commence l’activité physique après son diagnostic, mieux il arrive à contrer les effets secondaires », témoigne Béatrice Fervers, oncologue au Centre Léon-Bérard et chercheuse au Centre de recherche en cancérologie de Lyon4.
Par exemple, bouger modifie la composition corporelle (diminution de l’adiposité viscérale et maintien, voire amélioration de la masse musculaire) ainsi que la force musculaire. Les conséquences possibles de la pratique régulière de l’activité physique sur les mécanismes impliqués dans la prolifération tumorale s’expliquent : les effets les mieux documentés concernent le cancer du sein et relèvent de la régulation glycémique, de l’augmentation de la sensibilité à l’insuline, d’un effet anti-inflammatoire et d’une régulation hormonale.
Selon les chercheurs, l’activité physique va très probablement jusqu’à réduire les risques de récidives et de mortalité liés aux cancers du sein et du côlon. Alors qu’en est-il de la mise en place de programmes adaptés en France ? « Un cap a été passé dans les grands centres de soins mais il y a encore beaucoup de chemin à faire entre le fait de dire aux patients de bouger et leur proposer un accompagnement et une prise en charge pour intégrer l’activité physique de façon pérenne dans leur mode de vie », déplore l’oncologue.
Du côté des maladies cardiaques, les facteurs de risques sont bien connus : tabac, stress, hyper-tension et… inactivité. Après un infarctus, limiter les risques de récidive signifie changer les habitudes du patient. « Cela passe par une réadaptation physique et nous n’en sommes plus à nous demander quelle activité recommander, mais surtout à quelle intensité ? », résume François Carré. Ainsi, l’entraînement fractionné, alternant pics à haute intensité et phases de repos, s’est avéré le plus efficace en réadaptation post-infarctus.
On sait aussi qu’en dessous d’un seuil de VO2 max, soit la quantité maximale d’oxygène que le corps consomme lors d’un effort intense, un insuffisant cardiaque doit être transplanté. « Avec l’activité, on améliore sa capacité physique et on peut l’extraire de la zone rouge qui se situe au-dessus de 5 METs (équivalents à la capacité de marcher à 4-5 km/h pendant quelques minutes, NDLR) », rapporte Thibaut Guiraud, chercheur en physiologie à l’I2MC. Sachant par ailleurs que l’activité physique présente un intérêt pour les insuffisants cardiaques. Mais, « après un infarctus, seuls 30 % des patients sont envoyés en centre de réadaptation, parmi lesquels 30 % poursuivent l’activité physique un an après », déplore le chercheur.
Jeu, set et match contre la dépression
Autre recommandation tirée de l’expertise : à raison de trois séances supervisées de trente minutes minimum par semaine, de préférence en groupe pour des effets de soutien social, l’activité physique est à prescrire en première intention avant tout traitement médicamenteux contre les dépressions légères à modérées. La raison en est simple : les chercheurs rapportent des effets tout simplement équivalents entre les antidépresseurs et l’activité physique sur cette pathologie. Une observation cohérente avec le fait que l’activité physique stimule la production d’endorphines et favorise l’activation du circuit de la récompense. « Il y a visiblement des effets sur le système limbique (le siège des émotions, NDLR) qui font diminuer le stress sur l’axe corticotrope (axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien), justement hyperactif chez le patient dépressif », explique Cédric Moro. Mais ce cocktail de molécules produites au niveau du cerveau implique des mécanismes méconnus et encore peu étudiés par la recherche.
Le fonctionnement des muscles fait aussi l’objet de toutes les attentions. Car le muscle peut produire certaines hormones, les myokines, ayant des effets métaboliques à distance sur plusieurs organes. « Chez un patient obèse, le muscle comporte un peu de graisse. Faire de l’exercice la fait fondre et l’insuline devient alors plus efficace pour alimenter le muscle en sucre. Cela limite notamment l’apparition du diabète de type 2 », décrit Cédric Moro dont l’équipe a notamment identifié une hormone (GDF15) qui influence l’utilisation des graisses par notre corps dans le cadre du diabète.
Autre exemple abordé dans l’expertise : certaines myokines, comme l’inter-leukine 6, stimulent la production d’interleukine 10, connue pour ses vertus anti-inflammatoires. L’inflammation étant un facteur impliqué dans de nombreuses maladies chroniques, la production de cette hormone par le muscle peut engendrer un effet anti-inflammatoire et une réduction des douleurs dans le cadre des maladies ostéo-articulaires et du cancer.
Lutter contre le vieillissement
Et si l’activité physique pouvait aussi contrer certains effets cognitifs du vieillissement ? L’équipe de Fabien Pifferi, chercheur au laboratoire Mécanismes adaptatifs et évolution5, a étudié les effets de la restriction calorique sur la durée de vie de certains primates, les microcèbes.
Ils ont observé une augmentation de la longévité de ces animaux, mais ceux-ci présentaient également une atrophie cérébrale plus importante que la normale6… « Or, on sait que l’activité physique permet de réduire cette atrophie cérébrale. Nous venons donc de débuter une nouvelle expérience, dans le cadre de la thèse de Julie Royo : cette fois, la restriction calorique est moindre mais elle est complétée par une dépense énergétique sous forme d’exercice », informe Fabien Pifferi. Par exemple, au lieu de leur enlever 200 calories de nourriture, on ne les restreint que de 100 calories et ils pratiquent un exercice qui correspond aux 100 autres. Objectif de cette nouvelle étude : identifier si l’activité physique empêche les désordres métaboliques qui impactent les fonctions cognitives avec l’âge, et notamment la neurogenèse, notre capacité à remplacer des neurones manquants.
En attendant les prochains résultats, intégrer l’activité physique au quotidien des patients, ou même dans un cadre préventif, fait déjà figure d’enjeu sociétal. Dans la continuité de la loi de 2016 incitant les médecins à prescrire de l’exercice pour traiter les affections de longue durée, cette expertise collective espère marquer un tournant. « La situation est favorable car le message est le même pour toutes les pathologies chroniques. Bien que la conjoncture ne soit pas en faveur des dépenses de santé supplémentaires, un engagement organisationnel et économique est nécessaire pour intégrer efficacement l’activité physique dans la prévention et la prise en charge des maladies chroniques », conclut BéatriceFervers. ♦
Notes
1.Cette expertise s’appuie sur une analyse critique de la littérature scientifique internationale réalisée par un groupe pluridisciplinaire de treize chercheurs experts dans différents domaines relatifs aux pathologies chroniques,à la médecine du sport et à la psychosociologie. Activité physique. Prévention et traitement des maladies chroniques, éd. EDP Sciences, 2019.
2.Unité Inserm/Université Toulouse-3 Paul-Sabatier.
3.Unité CNRS/Inserm/Université Rennes-1.
4.Unité CNRS/Inserm/Université Claude-Bernard Lyon-1/Centre Léon-Bérard.
5.Unité CNRS/Muséum national d’histoire naturelle.
6.La mort d’une partie des neurones avec l’âge est un phénomène naturel.
Source de l’article :
https://lejournal.cnrs.fr/articles/le-sport-est-bon-pour-la-sante-cest-prouve
Auteur(s): Anaïs Culot
Après des études en environnement à l’Université Paul-Sabatier, à Toulouse, puis en journalisme scientifique à l’Université Paris-Diderot, à Paris, Anaïs Culot a été attachée de presse au CNRS et collabore à présent avec différents magazines, dont CNRS Le Journal, I’MTech et Science & Vie.